Traductions
de traduction Préface à l'édition Ukrainienne des Dialogues avec l'ange, par Tatiana et Léonide Pliouchtch |
Gitta
Mallasz rêvait de voir ce livre traduit en russe. Je suis donc heureuse
de présenter aux lecteurs d'Ukraine ma traduction qui vise à réaliser,
même imparfaitement, ce rêve. Chaque traduction est une implication
personnelle dans le texte, une sorte de co-création. C'est pourquoi il
ne me paraît pas superflu d'expliquer pourquoi je me suis risquée à
cette périlleuse entreprise : traduire à partir d'une traduction.
Tout a été le fruit du hasard. Marie-Françoise Baracetti n'était pas une amie proche. Elle avait activement participé à la défense des droits de l'homme en France, et nous nous connaissions donc depuis longtemps, bien que superficiellement. La défense des droits de l'homme implique qu'on participe personnellement aux destinées des gens qu'on défend. Marie-Françoise se mit à fréquenter notre maison, elle fit connaissance, de très près, de toute notre famille et de ses problèmes. Quelle famille n'en a pas ? Surtout dans l'émigration qui oblige à recommencer toute sa vie à zéro, apprendre une nouvelle langue, assimiler le nouveau monde où le « hasard » et non le libre-arbitre vous a jeté. Les problèmes familiaux des enfants et des adultes, déjà complexes dans des conditions normales, deviennent alors bien plus compliqués et parfois presque insolubles. De son point de vue de Française, elle ne les comprenait pas toujours, nous discutions passionnément, il fallut essayer d'expliquer les « âmes slaves si mystérieuses et si compliquées » et nous n'arrivions pas toujours - loin de là - à trouver les mots adéquats même en recourant aux analogies. Durant ces années de vie en « Occident » nous avons remis en question bien des choses, en avons abandonné certaines, en avons modifié d'autres. Nous n'étions pas venus ici tout à fait par hasard, notre destin nous l'avions choisi quand nous étions là-bas, dans notre Patrie et nous savions qu'il en serait de même ici. Revenir dans notre pays, en tout cas c'est ce qu'il nous semblait alors, était impossible. Il nous fallait donc entrer dans cette nouvelle vie. Nous lisions beaucoup. Nous lisions des livres auparavant inaccessibles, nous réfléchissions à des choses auxquelles avant nous n'avions pas pensé. Les rencontres ou plutôt notre vie parmi des « étrangers » en qualité d'étrangers nous ont permis de voir bien des choses de manière neuve, que ce soit les choses de la vie quotidienne ou les énigmes fondamentales de l'être. Les problèmes politiques passèrent peu à peu au second plan, ils nous intéressèrent moins que durant les premières années où les fils qui nous reliaient intérieurement à notre Patrie étaient tendus à l'extrême, palpitaient de vie et que la mémoire en restait vive. Il était clair que là-bas ce qu'on allait appeler la « stagnation » n'était pas près de s'arrêter. Il en fut heureusement tout à fait autrement ! Mais alors cette situation faisait naître un sentiment de désespérance et de crise intérieure. Marie-Françoise était apparue chez nous à un de ces moments critiques. Elle écouta, observa et un jour me dit : « Laisse un peu tomber toutes ces histoires de famille, viens te reposer sur mon voilier... ». Le mot m'impressionna, je n'avais jamais vu de voilier de ma vie, si ce n'est sortis des pages enchanteresses des romans d'Alexandre Grin. En France j'avais vu des ports évocateurs, mais les voiliers ? Tout se fit de soi-même. Les vacances d'hiver approchaient, et, comme par « hasard », on me remboursa une dette depuis longtemps oubliée. Ainsi donc, la mer, le soleil, des mimosas partout. J'avais l'esprit léger comme cela se produit en ces rares instants où on abandonne tous ses soucis tout en sachant que ce n'est qu'une trêve. De nouveaux visages... surtout de gens vivant constamment en bateau, souvent avec toute leur famille. Le voilier de Marie-Françoise n'était pas grand, on avait du mal à y tenir à deux. Je n'eus pas de mal à me faire au tangage et au roulis. Comme si j'avais passé toute ma vie sur les eaux. Et toujours de nouvelles connaissances, de nouveaux sujets de conversation. Des plaisanteries. Un jeune homme de l'âge de notre fils. Il venait de terminer la construction d'un grand voilier et allait faire la croisière de plusieurs années dont il rêvait depuis longtemps. En riant il me lance soudain : - Tu ressembles à Gitta. - Qui ça ? - Tu ne connais pas ? dit-il en me tendant un livre avec une photo sur la couverture : Gitta Mallasz « Quand l'Ange s'en mêle... » Sans me douter de rien encore, je fais ma coquette : « J'ai l'air si vieille que ça ? » - Pas possible, tu n'en as jamais entendu parler ? - et il me présente les « Dialogues avec l'Ange ». Je ne me doute toujours de rien, mais je sens qu'à partir de cet instant ma vie va brutalement changer... Le soir, restée seule, je commence à lire. Je n'ai pas de dictionnaire sous la main, pas le moindre petit guide parlé pour touristes. Tout a disparu. Il n'y a plus que la mer... et le cri des mouettes. Le jour je lis, la nuit je discute avec Marie-Françoise. Et pour la première fois, je la vois tout autre... Contrairement à moi, et comme mes nouveaux amis, elle a lu les « Dialogues ». La veille de mon départ, j'avais terminé le livre et ne pouvais penser à rien d'autre. Marie-France me donna un des livres « explicatifs » de Gitta, que je lus dans le train. Dès que je l'eus fini, ces mots « résonnèrent » clairement en moi : « Je dois traduire ce livre pour mes amis restés là-bas, dans ma Patrie ». Je regardai par la fenêtre et je vis une moitié d'arc-en-ciel. À franchement parler, je me suis sentie mal. C'était un peu trop... Je repris mes esprits. Le compartiment était tranquille, certains lisaient, d'autres sommeillaient, personne ne regardait l’arc-en-ciel... Malgré les obstacles, les empêchements et les complications (liés essentiellement au fait que la traduction ne part pas de l'original), je peux enfin au bout de dix ans vous proposer ce travail que je n'aurais pu accomplir sans l'aide de quelques amis. Que je voudrais ici remercier. D'abord mon mari, Léonide Pliouchtch, qui non seulement a soutenu mon projet, mais a participé à la traduction en ukrainien et en russe. Les consultations que m'ont données le rédacteur de la deuxième édition, Dominique Duval-Raoul ainsi que des amis et admirateurs de Gitta Mallasz m'ont beaucoup aidé. Bien que cette dernière ait considéré comme canonique l'édition française, nous avons aussi utilisé la traduction allemande réalisée avec la participation directe de Gitta Mallasz. Svetlana Andreeva a comparé notre traduction à la version allemande, en évaluant avec une insistante minutie non seulement notre compréhension du contenu, mais nos maladresses de langue et de style. Nous n'avons pas toujours admis ses propositions, mais on ne peut sous-estimer sa contribution. Pour le français ceux qui nous ont le plus aidé sont Evguénii Nersessian et Yvan Mignot qui traduit Khlebnikov, Mandelstam, Harms et Vvédenski et que le « hasard » nous a fait rencontrer au fin fond de notre province française. C'est aussi le « hasard » qui, dans notre petite ville, nous a fait rencontrer Sugar Menhert Béla grâce à qui nous avons pu comparer les passages complexes ou litigieux du texte français avec l'original hongrois (malheureusement incomplet) et goûter à quelques subtilités de la langue hongroise... Tatania Pliouchtch Léonide Pliouchtch et sa femme Tatiana chez eux à Bessèges (Gard) en 2013 À cette époque je
me
débattais avec le génial et ... trivial « Skovoroda » de P.G. Tytchina,
et ces dix jours ont passé aussi vite que « les bateaux de la joie sur
la mer ». J'étais sur le quai de la gare et je m'apprêtais à faire une
surprise à ma femme : lui raconter comment, grâce à un vieux mythe
solaire coréen j'avais réussi à déchiffrer les symboles du « triangulé»
du « triangle » et du « demi-cercle » de l'arc-en-ciel dans «
Sur le
Dniepr ». Mais c'est elle qui a commencé à raconter, et elle l'a fait
par la fin, elle a commencé par l'arc-en-ciel et j'ai compris qu'elle
avait découvert quelque chose de plus fondamental que toutes mes
interprétations autour des subtilités de l'inconscient collectif...
Sa décision de traduire les « Dialogues » était plus que risquée, mais après avoir lu la première ébauche de traduction je fus convaincu qu'elle y parviendrait. Le texte paraissait se suffire à lui-même, il paraissait authentique, il était, pour reprendre l'expression de Joseph (dialogue 12, avec Gitta) une « nourriture vraie ». Malheureusement à mesure qu'on avançait, le nombre de problèmes non-résolus augmentait : authenticité de la traduction, questions soulevées par l'étude du texte, la grammaire, le style, et le point de vue théologique enfin. N'avait-on pas là une nouvelle hérésie chrétienne ? Fallait-il craindre que le texte engendre une nouvelle secte qui considérerait les « Dialogues » comme le nouvel Évangile de la modernité et Gitta Mallasz comme une nouvelle évangéliste ? Car de telles tendances existaient réellement... Gitta elle-même n'avait pointé aucune contradiction avec les Ecritures et l'Eglise, et elle avait fait tout son possible pour empêcher l'apparition d'une telle secte. Les attaques violentes contre l'Église qui apparaissent en contradiction avec les textes évangéliques canoniques peuvent provoquer et provoquent chez le lecteur des protestations légitimes. Mais le texte des « Dialogues » est « contradictoire » en soi, de l'intérieur. Les contradictions de cet ordre sont incluses dans la dialectique même du christianisme et c'est sur elles que s'est développée et se développe comme un parasite la critique positiviste vulgaire. Le lecteur ukrainien en est familier, lui qui connaît les expressions encore plus paradoxales des œuvres théologiques de Skovoroda. Je voudrais faire remarquer que les « Dialogues » ont été hautement appréciés par de nombreuses personnes faisant partie de l'Eglise ou extérieures à elle - orthodoxes, catholiques, protestants, anthroposophes, non seulement des laïcs, mais aussi des théologiens, des prêtres et des moines. Dans ses traductions Gitta Mallasz est parvenue à aller au-delà des cloisons interconfessionnelles, elle a fait en sorte que la langue des Dialogues ne soit pas celle de telle ou telle confession religieuse. Ceci explique, en particulier, l'apparition d'une deuxième édition française. En corrigeant la première version, Gitta s'est efforcée d'éviter de « catholiciser » la langue de traduction. C'est pourquoi, dans la nôtre, nous avons essayé d'éviter d' « orthodoxiser » les textes en particulier en utilisant les mots slavons et les formules rituelles qui nous sont coutumières. Ceci étant lié à un problème plus général, puisque toute traduction est une co-création, un dialogue entre le traducteur avec sa langue à lui et le texte original et, par conséquent, avec sa déformation. Traduttore - traditore, traduire c'est trahir... Conscients de cette fatalité, nous n'en avons pas moins essayé de réduire au minimum notre ingérence dans le texte en évitant de lui ajouter notre propre interprétation. Quand s'est posée à nous la question du choix entre la possibilité d'exprimer clairement une idée en introduisant dans le texte notre interprétation ou notre explication au lecteur et un rendu plus exact de l'original, nous avons toujours préféré la deuxième solution, serait-ce au détriment du style ou de la grammaire. Que dire donc du rythme, de la souplesse, du caractère lapidaire de la langue de l'original dont parle Gitta Mallasz ? Traduire à partir d'une traduction est un non-sens. Il faut, bien sûr, traduire à partir de l'original. Malheureusement, l'édition hongroise est incomplète, la seule édition complète est la française. Et puis une partie des dialogues publiés contient d'importantes erreurs au niveau du texte... Question : mais le hongrois était-il l'original ? En fait, les « Dialogues » sont déjà une traduction, une traduction de la « langue des anges » en hongrois, de plus le texte permet d'inférer que les Anges « parlent », je veux dire que Hanna les traduit avec la langue porteuse de la culture d'une époque et de personnes données, avec leur cercle d'intérêts, leurs lectures et leurs connaissances. Cette traduction n'est pas toujours exacte : Hanna ne trouve pas toujours les mots justes et, dans certains cas, la langue humaine contemporaine n'a pas les mots, les noms adéquats. Le problème linguistique devient théologique, ce qui a proprement parler relève de l'essence même du christianisme, du mystère de la Trinité et de l'Incarnation... Dans ses notes qui accompagnent l'édition française, D. Raoul-Duval pointe certains problèmes de langue liés à la théologie. Ainsi, le pronom Ö qui, selon le contexte, se traduit tantôt comme LUI, Dieu-le Père, tantôt comme Lui, Dieu-le Fils, le Christ. Il n'est pas toujours possible de distinguer aussi nettement, cette indistinction étant elle aussi liée à la théologie de la Trinité où les Personnes sont en même temps inséparables et non fusionnées. Nous avons habituellement suivi le texte français, mais avons parfois opté pour la description plus précise de la première édition française ou de l'allemande. Dans certaines phrases, nous nous sommes permis de modifier ce pronom en nous basant sur le contexte et sur le fait que là Gitta Mallasz avait donné sa propre interprétation de la lettre du texte. Quand nous avons procédé à ces corrections, nous avons demandé l'avis du rédacteur français, et il est apparu qu'une partie des fautes était simplement due à l'inattention du correcteur. En comparant l'édition française et les textes en hongrois et en allemand, nous avons découvert que des mots, des phrases et même des paragraphes entiers avaient été oubliés. Nous les avons, en accord avec D. Raoul-Duval, rétablis. Dans la seconde édition française, de nombreuses lignes commencent par une majuscule, ce qu'on peut comprendre comme un désir de la part du traducteur de souligner le rythme du discours des Maîtres, bien que, dans certains cas, le dispositif paraisse être lié à la composition par ordinateur. Nous avons, pour l'essentiel, conservé la graphie de la seconde édition française. Parmi les difficultés de traduction, il faut, entre autres, noter les mots de l'index qui, dans les « Dialogues », sont maintes fois utilisés avec diverses nuances sémantiques, ce qui en fait au niveau du livre un ensemble de catégories conceptuelles. Ce sont, par exemple, la tâche - leçon, tâche, devoir. À la traduction, si on choisit d'employer des mots différents, on perd la notion de catégorie. Nous avons donc choisit le mot « devoir » et en utilisant différents verbes lui avons conféré les nuances de mission, devoir, prédestination humaine. Mais en choisissant un mot plutôt qu'un autre, l'unité du mot-concept est maintenue au prix de la violation des normes grammaticales ou stylistiques, ce qui produit souvent un effet de décalquage. Le recours à l'original hongrois ne résout pas le problème, car cette langue est plus compacte que la langue de traduction et un mot y a encore plus de significations multiples qu'en français... Quand nous violons les normes grammaticales, nous sommes partis du postulat suivant : « le sabbat a été fait pour l'homme » (Marc, 2, 27) en faisant dans certains cas une exception en faveur du « sabbat », comme, par exemple, en ce qui concerne le concept d' « insuffisance », de « manque », de « défaut », c'est-à-dire d'incomplétude. (Selon de nombreux lecteurs, la traduction française viole également les normes grammaticales du français et elle le fait délibérément, comme le font poètes et mystiques, pour rendre toute la complexité et la saturation d'une pensée). Je ferai remarquer en passant une autre spécificité du hongrois. Les mains, les pieds, les yeux et autres organes humains allant par paires y sont au singulier et peuvent donc aussi bien se traduire par un singulier qu'un pluriel. Nous n'avons pas toujours suivi la version française, car maintenir en russe ou en ukrainien le singulier créé un effet comique mal venu... Parmi les problèmes de traduction que nous n'avons pas réussi à résoudre, j'aimerais m'arrêter sur ceux-ci. Le mot-concept AD introduit par les Maîtres sonne en russe comme l'ENFER ce qui est en contradiction avec le texte des « Dialogues » qui nuance le mot en Don et Agneau de Dieu. Nous avons traduit en lettres latines : A.D., conservant, malheureusement, la sonorité « infernale », alors que nous aurions, peut-être, pu choisir le mot DA dont le sens affirmatif rend bien l'aspect vivifiant du concept AD... Mais le plus difficile c'est le mot-concept que Hanna rend « inexactement » par « Ertelem » qui, comme le disent les Maîtres n'existe pas encore pour désigner cette nouvelle qualité humaine. À l'imitation du français « Co-Naissance » inventé par Paul Claudel, nous avons opté pour « Luminescence » mot-image qui ne rend qu'une partie des nuances du concept. Il y avait d'autres possibles. Le satori du Zen, qu'on rend habituellement et inexactement par Illumination, était au plus près de ce que nous cherchions, mais en renvoyant à une tradition précise conférait au texte des significations et des associations complémentaires étrangères à ce texte. La Sagesse et la Haute-Sagesse ne faisaient que banaliser le texte, puisqu'elles confèrent à l'homme les prérogatives divines. La Sagesse-Sophia et ses dérivés étaient au plus près du sens recherché, mais nous liaient beaucoup trop aux traditions de l'orthodoxie et aux discussions des apologistes de la Sophia, tant gréco-slaves qu'allemands. Il y avait encore d'autres possibles : Conscience, etc. qui tous avaient des avantages, mais il a bien fallu à un moment arrêter notre choix. Que le lecteur trouve lui-même son mot en partant de l'ensemble des significations de ce mot-image inconnu. J'aimerais en conclusion souligner que nous ne nous sommes pas résolus à commenter le texte présenté par Gitta Mallasz. Qui sont ces Maîtres, de quelle sphère de l'Être nous font-ils signe ? Ce n'est pas un hasard si les « Dialogues » ont suscité l'intérêt de l'Institut Karl Jung, ce même Jung qui, un des premiers, a eu le courage de tenter de saisir scientifiquement l'âme de l'homme dans les espaces qui touchent la Foi et la mystique. Notons que, bien que Gitta Mallasz elle-même ait été très prudente dans ses interprétations, il n'est pas toujours possible d'accepter tous ses commentaires. Ainsi je trouve personnellement peu convaincante son explication du discours des Anges sur le cinéma en couleurs (dialogue 31, avec Lili). Que le lecteur résolve lui-même l'énigme psychologique ou théologique que pose la nature de ces textes... À notre sens les « Dialogues » méritent la plus grande attention de la part des théologiens, des psychologues, des philosophes, et simplement des lecteurs avides de savoir. Léonide Pliouchtch Textes publiés avec l'aimable autorisation des auteurs. Traduction française d'Yvan Mignot |