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dialogues
avec l'ange
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Le don
d'Hanna Hanna Dallos fut la voix
des Dialogues
avec l’ange.
En Hongrie, en pleine guerre, ce fut elle qui transmit cet enseignement
spirituel, avant de disparaître, happée par la Shoah. C'était une femme
vivante et drôle, intelligente et profonde, s’interrogeant sans
cesse sur les grandes questions de l’existence, et aussi une pédagogue
exceptionnelle.
Hanna Dallos, née le 14 juin 1907, grandit dans une famille chaleureuse de « juifs réformés (1) ». Son père, directeur d’un collège de garçons, était un homme très ouvert. Sa mère, d’une infinie douceur, une vraie mama juive (SB, Chap. II/1). Hanna a aussi un frère aîné, Joseph, ophtalmologue brillant, qui travaillera à l’amélioration des premières lentilles de contact (2). Hanna Dallos et son frère Joseph, entourés de leurs parents (Avec l'aimable autorisation du Dr. Vera Dallos-Pinter)
L’enseignement Hanna
est l’âme de l’atelier. Selon Gitta, « elle avait un don de
concentration remarquable et pouvait jauger d’un coup d’œil l’essentiel
d’un projet, sur le plan de la conception aussi bien que de la
réalisation » (DA 1990, p.19). En même
temps, elle peut très
facilement résoudre le problème le plus trivial. Pour Vera Székely, qui
fut son élève, « elle considérait l’expression plastique – même s’il
s’agissait d’une banale publicité – comme reflétant l’état
intérieur de son auteur » (SB, Chap. II/4).
En fait, ses élèves la
considèrent plus comme un Maître (5) que
comme un
professeur. Car pour elle, les préoccupations spirituelles sont
primordiales. Non seulement le Tao Te King, les Upanishad, la
Bhagavad-Gîtâ, les écrits de maître Eckart figurent parmi ses livres de
chevet, mais elle les prête à ses élèves et les
commente
avec eux (SB, Chap. II/4). Seuls
quelques-uns purent supporter cette
exigence et cette intensité, selon Vera Székely. Les
autres
quittèrent ses cours (DA 1976, p.12).
Mais Hanna sait aussi rire. Elle aime faire des farces et imiter les gens. Déguisée en paysanne traditionnelle avec une multitude de jupons empesés, elle joue le rôle d’une innocente mal dégrossie accompagnant sa patronne (Gitta) dans les cafés littéraires de Budapest et se livre à une parodie cinglante du microcosme qu’elle côtoie (VM, p.31). L’inspiration La
finesse et la sensibilité hors norme d’Hanna vont bientôt s’exprimer
d’une façon très inhabituelle, bien que pour Gitta qui l’a vécu il
s’agisse là de quelque chose de très naturel.
Cela se passe le 25 juin 1943 à 15 heures, dans une petite maison sans confort à Budaliget, non loin de Budapest, où se sont installés Hanna, Joseph et Gitta pour fuir l’atmosphère délétère de la capitale. Les y rejoint le week-end, Lili Strausz, juive elle aussi, professeur d’expression corporelle, qu’a rencontrée Gitta dans sa période sportive. Taraudés par une grande exigence intérieure, les quatre amis ont pris l’habitude de « chauffer » des sujets pour y voir plus clair en ces temps chahutés où s’épanouissent tous les totalitarismes. Cet après midi là, Gitta débite un fatras de lieux communs sur un problème qui la concerne personnellement, lorsque Hanna a une vision aveuglante : elle voit deux mains arracher les écrits de son amie, les déchirer et les jeter par terre avec rage. Elle prévient alors : « Attention, ce n’est plus moi qui parle ». Par la voix de Hanna, quelqu’un met sévèrement Gitta en garde sur son attitude inconséquente (DA 1990, p.23). Au début des « Dialogues » Hanna perçoit le sens du message et le traduit en mots. Puis, l’enseignement devenant plus pressant, et plus rythmé, elle ne fait que répéter ce qu’elle entend en elle, voire transmettre des paroles dont elle ignore le sens ou des mots d’une langue qui n‘est pas la sienne. Ainsi un jour, alors qu’elle travaille à une publicité, Hanna dépose soudainement son pinceau et dit à Gitta : « J’entends des mots allemands, ils sont destinés à X. Note les ». Hanna parlait l'allemand, mais n'en connaissait pas tous les subtilités. Ce fut Gitta qui lui traduisit en hongrois les mots inconnus en approfondissant leur signification (SB, annexe 1 ; Morgen). Au fur et à mesure de ces rencontres, Hanna développe une sensibilité hors du commun : réceptive à la vibration des anges, elle ressent avec la même acuité la souffrance humaine (DA 1990, p.74). Des douleurs lancinantes au cœur qui la faisaient souffrir (DA 1990, p.59, 281), elle disait simplement : « Ces douleurs ne viennent pas du corps. Je sens que les gens n’ont peut-être jamais autant ressenti de souffrances que durant la période actuelle » (MA, p.41). Au cours d’une conférence à Zurich à la Paulus Akademie le 9 novembre 1985, Gitta Mallasz disait d’elle : « Sa capacité de concentration était exceptionnelle. Hanna était simultanément dans le monde créé ET dans le monde créateur. Elle nous donnait accès à une autre dimension. Elle portait en elle les qualités du nouvel homme, de celui qui se trouve au milieu, de celui qui lie le monde terrestre au monde spirituel. Pour nous, elle en était le modèle ». Le 19 mars 1944, l’Allemagne envahit la Hongrie et la déportation des juifs commence. Il faut rentrer à Budapest. Le 3 juin, Joseph part vers une destination inconnue, laissant Hanna inconsolable (DA 1990, p.285). Peu de temps après, un prêtre de bonne volonté, le père Klinda, demande à Gitta de prendre la direction d’un atelier de confection militaire avec comme ouvrières, une centaine de juives. Gitta accepte à condition que Hanna et Lili soient admises, elles aussi, à Katalin (DA 1990, p.289). Le rayonnement Pour
les trois amies la première tâche est de faire fonctionner la « Fabrik
». Gitta est une « commandante » sévère et redoutée : elle le
doit.
Hanna et Lili s’efforcent de pacifier et mettre de l’ordre dans la
pagaille ambiante. Une des ouvrières, Eva Danos,
raconte :
Agnès Péter (Agi), pourra écrire que « l’ambiance dans la Katalin était fantastique. Nous nous sentions d’une extraordinaire légèreté. On ne possédait plus rien – au sens strict : plus rien – et on s’en fichait ». Pour elle, le temps passé là-bas avec Hanna, Lili et Gitta « fut la période la plus heureuse » de sa vie (SB, Chap. V/7). Mais en cette fin 1944 l’étau se resserre. Le 15 octobre, Horthy démissionne. C’est l’heure des Nyilas (Croix fléchées), ces nazis hongrois qui sèment la terreur dans tout Budapest. Ils surveillent la « Fabrik » de très près. Le 5 novembre, une première tentative pour arrêter les ouvrières échoue. Les Nyilas reviennent le 2 décembre. Cette fois-ci Gitta ordonne aux femmes de se sauver par le jardin. Le sacrifice Hanna
et Lili ne s’enfuient pas. Convaincues qu’il revient à Gitta
de
faire connaître les « Entretiens » et que celle-ci sera
fusillée
si les Nyilas constatent que tout le monde est parti, elles se font
arrêter avec une poignée de femmes. Le lendemain, elles partent dans le
dernier convoi de déportés de Hongrie (DA 1990, p.383).
Hanna et Lili se retrouvent à Ravensbrück. Avec elles, Eva Danos, la seule qui reviendra, et Klara, une hongroise qui les a adoptées dès leur arrivée dans le camp. Pour survivre, elles restent solidaires, dorment sur le même châlit et s’efforcent de partager les mêmes corvées. Hanna aide. A son arrivée, on ne lui a pas coupé sa somptueuse chevelure blonde, ce qu’elle considère comme un heureux présage. Une surveillante s’est même approchée d’elle et au vu de ses yeux bleus, son nez droit et son casque d’or lui a demandé si elle était aryenne. Hanna a répondu qu’elle était juive. Après avoir été dix sept mois la messagère des anges, elle ne peut plus mentir. En février 1945, les quatre amies sont « choisies » pour aller travailler dans une usine d’aéronautique à Burgau, un camp satellite de Dachau, à 700 km au sud. Cinq cent femmes font partie de la « Selektion ». Avant de quitter le camp, elles sont menées à la douche, où elles devront se laver à toute vitesse sous les coups de fouet. Mais auparavant, elles devront passer sous la tondeuse et cette fois Hanna n‘y échappe pas. Elle est rasée. En même temps que sa chevelure, Hanna perd la raison. Ses amies la retrouvent, la main agrippée sur un bout de savon, prostrée sous la douche d’où elle est incapable de sortir. Hanna a compris : elle ne reviendra pas dans son pays, ne retrouvera ni mari, ni famille… Pour elle, c’est fini. Alors elle dérive. Hanna, l'ultrasensible, la messagère, rend l'âme avant de trépasser parce qu'à un certain moment, il fut au-dessus de ses forces de faire face à la brutalité de l'Histoire. Avec Lili, Klara et Eva elle montera dans un wagon à bestiaux surpeuplé, dans lequel les femmes, entassées d’une façon inhumaine, se battent. Quasiment rien à manger, ni à boire, les excréments qui s’amoncellent et une SS qui manie le fouet pour que ces malheureuses se tiennent tranquilles. Hanna croupira treize jours dans ce cloaque répétant : « Que vais-je devenir ? Mes cheveux ont été coupés. Je ne reviendrai jamais à la maison ». Hanna mourra la nuit du 1er mars 1945 sur un plancher immonde, quelque part dans l’est de l’Allemagne, en pleine apocalypse. Comble de l’ironie, son corps descendra à terre à Bayreuth, haut lieu de la musique wagnérienne qu’Hitler prisait tant… (DC) Cimetière municipal de Bayreuth - 2014
« En mémoire de Erzebet Laszlo, Hanna Dallos-Kreutzer, Elisabeth Merkowitz, Eva Balin, Klara Erdö, Magda Has, décédées dans un convoi de prisonnières en provenance de Ravensbrück, lors d’un arrêt de plusieurs jours des wagons plombés à Bayreuth. » ( Photo : Stadt Bayreuth) Françoise Maupin (1)
Le judaïsme réformé est un des courants héritiers du judaïsme
progressiste apparu en Allemagne au siècle des Lumières. En Hongrie,
les juifs réformés constituaient la souche juive locale la plus
ancienne. Ils étaient complètement intégrés à la société hongroise.
Citoyens depuis 1867, ils pouvaient occuper des postes jusqu’au sommet
de l’armée (SB, Chap.II/1).
(2) Joseph Dallos, né en 1905, devint médecin en 1928 et ophtalmologue en 1933. Il travailla à l'amélioration des premières lentilles de contact, d'abord à Budapest, puis à Londres où il s'installa en mai 1937 (DA, p.247-248). Il déposa un brevet conjointement avec Zeiss. (http://www.andrewgasson.co.uk/pioneers_dallos.htm) (3) La mère de Joseph Kreutzer était la soeur du père de Hanna, Sándor Dallos. (4) Le père jésuite Géza Izay, qui avait demandé à Hanna de graver des images pour son ordination, raconte qu'il a été très frappé par son atelier : « C'était comme si on entrait dans une espèce de monastère, ou d'ermitage, je ne sais comment dire, tout était blanc, éminement ascétique. Je ne trouve pas d'autre expression qu'ascétique, au sens strict et profond du terme. Ce n'est pas seulement pour la forme qu'on n'y cherchait pas le confort, même moderne. Ce n'est pas le climat de confort qui dominait, mais une spiritualité d'artiste favorable à ses oeuvres et ses enseignements dont j'ai eu connaissance bien plus tard. Ce climat était saisissant, surtout pour quelqu'un comme moi qui était sensible à ces choses. » Entretien avec Maria Nyeki le 13 juin 1995 à Paris. (5) Témoignage du sculpteur Pierre Székely (1923-2001), qui fréquentait à l'époque l'atelier de Hanna Dallos avec Vera Harsányi (qui deviendra sa femme). Son oeuvre est marquée par l'influence de celle qu'il reconnait comme son maître : « En ce qui me concerne, ce qui était important dans ma vie, c’est la rencontre de Hanna, tout de suite après le baccalauréat, car elle est devenue mon maître dans le sens traditionnel du mot, dans le sens disons asiatique du mot - en Europe c’est très rare cette filiation de maître à disciple - d’ailleurs elle n’a jamais dit qu’elle est notre maître. Elle était une amie, nous étions ses amis ». Témoignage vidéo de Pierre Székely enregistré par l'USC Shoah Foundation sous le numéro 40522, disponible au Mémorial de la Shoah à Paris. Sources
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